dimanche 17 mai 2009

Pascal Le Gac, l'homme qui concurrençait JP


Du plus loin qu'il m'en souvienne, il y a toujours eu des chocolats précieusement cachés chez moi. Les tiroirs, placards et étagères dissimulaient une boîte, un sachet de douceurs puissamment chocolatées, qu'il fallait savoir mériter.
Ma mère nous les faisait apparaître au moment qu'elle seule estimait opportun, ce moment jamais connu d'avance où l'on s'armerait d'un couteau et, délicatement, on trancherait le palet amer, le rocher noir au praliné ou la pyramide de pâte d'amande à la pistache. Toutes les précautions étaient alors de mise pour partager en parts égales les précieuses sources du bonheur.


Avant l'addiction à JP (Jean-Paul Hévin), et à Patrick Roger ces jours-ci, maman était du clan de la Maison du Chocolat. Je me souviens de ces belles boîtes à trésor presque capitonnée, de leur bonbons intenses et harmonieux. Et, je le sais aujourd'hui, c'est à Pascal Le Gac que l'on devait ces petits morceaux de bonheur.


Après avoir passé vingt-cinq ans à la Maison du Chocolat, Pascal Le Gac, aux faux airs de George Clooney, a ouvert sa propre boutique à Saint-Germain en Laye.
Ses chocolats et pâtisseries valent largement les quelques minutes de trajet depuis Paris. Des ganaches aux arômes délicats et équilibrés, des textures parfaites, une fort jolie boutique ... What else ?
Pour la newsletter de Création Conseil Dessert, Pascal Le Gac a eu la gentillesse de m'accorder un moment pour répondre à quelques questions de goût. Les voici.


Comment êtes-vous tombé dans le chaudron de chocolat ?
Je ne faisais pas du tout partie d'une famille de pâtissiers ou de chocolatiers. Je me souviens de la boulangerie qui était en face de chez nous lorsque j'étais enfant, de la génoise que la boulangère préparait à l'arrière de la boutique : cette ambiance me séduisait.
J'ai commencé par la pâtisserie à l'école Ferrandi puis dans une pâtisserie de Saint-Germain en Laye. Après quelques temps, j'ai voulu changer d'atmosphère, et aller à Paris. En cherchant une maison, on m'a envoyé vers un homme qui venait d'ouvrir une chocolaterie et qui cherchait quelqu'un. C'était Robert Linxe et la Maison du Chocolat. J'y suis resté un an d'abord, puis Monsieur Linxe m'a demandé de revenir, et l'histoire a duré vingt-cinq ans.

Comment définir votre ligne de goût ?
Mon goût peut être qualifié de "classique". Disons que je ne cherche pas à suivre la tendance à tout prix. J'ai tendance à aller vers des choses simples avec une gamme bien structurée, d'une vingtaine de bonbons.
Ce qui est important, c'est d'être structuré, organisé, et patient. Il ne s'agit pas de créer des dizaines de parfums si l'on n'a pas la structure pour les reproduire régulièrement. Une des choses fondamentales est d'être régulier, car il faut se créer une clientèle fidèle, celle qui aura l'envie de revenir et de retrouver le goût qu'elle a aimé.

Le goût - Comment l'apprend t-on ?
Le goût s'apprend. Mais tout le monde n'a pas la capacité d'apprendre. On a des choses en soi, un terrain propice qu'il faut avoir la chance de pouvoir développer. C'est un travail de tous les jours, sans que l'on en soit véritablement conscient. Le travail du goût est d'abord un travail sur la mémoire des goûts. Il faut être attentif à ses sensations, et si possible être bien accompagné, comme j'essaie de le faire avec mes apprentis. Ils ne s'en rendent pas compte, mais ce qu'ils apprennent aujourd'hui leur reviendra plus tard.

Le goût de votre madeleine ?
Ce pourrait être le moka de la boulangère de mon enfance. Même si le côté crème au beurre n'est plus forcément dans les habitudes aujourd'hui ...
On recherche toujours un goût de l'enfance, qui n'est d'ailleurs pas nécessairement bon, mais lié à un souvenir heureux, une ambiance. Une cliente m'a dit que ma bûche aux marrons lui avait procuré beaucoup d'émotion, parce qu'elle n'avait pas goûté d'aussi bons marrons depuis son enfance ; ce genre de petites choses me fait vraiment plaisir.

Le goût de votre dernier moment de plaisir ?
En salé, c'est un sauté d'agneau aux petits légumes chez Christian Constant. C'était il y a quelques mois mais je l'ai encore en bouche : parfaitement cuit, simple et authentique.
Pour les desserts, c'est plus problématique, car je ne peux pas m'empêcher d'avoir une vision technique, comme une déformation professionnelle ...

Le goût de l'instant - Un moment ou une occasion privilégiée pour le chocolat ?
Il n'y a pas forcément de moment privilégié, mais il y a des moment où l'on ressent mieux le chocolat, car les papilles sont neutres et pleinement disponibles. Le mieux est de goûter lorsqu'on n'a ni trop faim, ni trop mangé, par exemple en fin de matinée.
On a aussi une dégustation différente selon le lieu. J'essaie de goûter mes chocolats en me mettant dans la situation des clients, en en rapportant chez moi et en en prenant un de temps en temps, sans me mettre dans des conditions de dégustation et sans chercher à analyser ce qu'il devrait être.
Mais le chocolat reste très personnel et spontané.

Le chocolat S'il ne devait en rester qu'un ?
Le prochain !

Croquer ou laisser fondre ?
Les deux : croquer d'abord, laisser fondre ensuite.

Les qualités d'un très bon chocolat ?
Tout est question d'équilibre : un léger croquant, de bonnes textures, le sucre, l'amertume, l'acidité ... Les papilles ne sont pas faites pour être agressées. Un bon chocolat doit être suffisamment sucré. Et le pourcentage de cacao n'est absolument pas un critère, même si c'est le seul argument des industriels : un bon chocolat peut être à 60 ou 65% de cacao. Le chocolat au lait peut également être très bon.
Le tout est d'avoir des matières premières de qualité, contrairement aux mauvais chocolats qui sont souvent très torréfiés.

Quelle boisson ?
L'eau reste la meilleure boisson pour une dégustation professionnelle. Certains vins, comme les vieux Maury ou le ratafia, s'accordent avec certains chocolats. Ou un thé neutre. Mais il faut toujours considérer l'association des produits.

L'avenir du chocolat ?
Il y a eu en France un fort développement de la consommation depuis une dizaine d'années, ce qui ouvre des possibilités pour les artisans, qui peuvent valoriser leur qualité.
Mais comme pour tout secteur, lorsqu'un marché est porteur, de nombreuses personnes s'y engouffrent ... Il ne faudrait pas que cela nuise à la profession.
La problématique pour les chocolatiers est de grandir tout en maintenant une qualité régulière. Ne pas chercher l'extravagance à tout prix, mais rester soi-même, en étant fidèle à ses valeurs.

Pascal Le Gac
61, rue de Pologne 78100 Saint-Germain en Laye – Tél : 01 34 51 82 32
Ouvert du mardi au samedi de 10h à 19h et le dimanche de 10h à 13h
www.legac-chocolatier.fr